La médaille de Simon

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Ma bonne Hortense m’avait convaincue.
Je fis passer le concours de tests de QI à Simon. Simon c’est mon chien. Pour ceux qui auraient l’audace de l’avoir oublié.
Un caniche.
C’est forcément très très intelligent. Ca aboie face aux emmerdeurs. Donc tout le temps. Ca accepte de porter un manteau l’hiver. Pas comme mes petits-enfants quand ils avaient entre deux et cinq ans. Ca vient me lécher dans les mains. Sans rien attendre en retour.

Avant de me rendre à l’Institut pour Animaux Très Spéciaux, j’emmenai Simon chez la toiletteuse pour une belle coupe « lion continental » dans le but d’impressionner les autres zèbres présents.
Arrivés, Cathy voulut l’amadouer avec un morceau de sucre. Avec effroi je m’écriai « Surtout pas de sucre raffiné, ça bousille les neurones ! Vous ne connaissez donc pas la Stévia ???!!! Cathy, ma petite Cathy, dans sa tendre enfance, je préparais moi-même ses petits plats à Simon. Je peux vous le dire à vous, vous comprendrez, je lui ai même donné au biberon physiologique sans Bisphénol A – j’étais déjà bien renseignée à l’époque – le lait maternel d’une voisine qui avait besoin de sous. Ca commence par là, ma petite Cathy… Une nourriture saine, gageure pour plus tard d’une bonne santé physique et mentale ! ».
La pauvre Cathy n’ayant qu’un CAP, je me rendis vite compte qu’elle n’était pas en mesure de faire la différence entre un biberon de base et un biberon anatomique. Tout juste savait-elle couper le poil de mon Simon avec application sans atteindre la pleine conscience ! Mais elle n’y pouvait rien, la malheureuse. Ses parents, lui maçon, elle caissière, ne lui avaient légué de gêne supérieur, si ce n’est des yeux bleus vitreux à caractère récessif.
Je vous dis ça, sans condescendance aucune. Il n’y a pas de sot métier. D’ailleurs un de mes meilleurs amis est peintre. Artiste peintre.

Une fois sur place, Simon sut tout de suite montrer à ses concurrents qui était le maître.
Il joua mieux que quiconque au piano « La lettre à Elise » de Richard Clayderman et interpréta avec virtuosité en aboyant « L’amour en héritage » de Nana Mouskouri.
Il montra également qu’il savait parler le pékinois, le berger allemand et le terrier écossais sans la moindre pointe d’accent canichois.
Il réussit haut la patte tous les tests.
A ceci près…
Il fut éliminé sur l’épreuve des sauts d’obstacle, ces petits fonctionnaires de l’Institut, ayant estimé – à tort – que l’on peut placer le sport dans une catégorie intellectuelle ! Mens sana in corpore sano, tu parles, un peu désuète la citation !
Fort heureusement, après un coup de canne dans le tibia sonnant creux de l’examinateur principal, Simon remporta la médaille du chien au plus gros QI de France, soit l’équivalent hexagonal du prestigieux International Tootoo Intelligence Quotient.
Je suis sûre que Simon était content ; il dévora avec entrain sa pâté en rentrant.

Une photo de Simon est parue dans la gazette.
Hortense a envoyé un fax contenant une photocopie de l’article à Dédé1938.
J’ai placé la médaille dans un sous-verre qui trône sur le buffet à côté de la photo de mon Félix.
Je me sens fière de tout ce que j’ai fait depuis des années pour Simon.
Comme on remettra en jeu son titre l’année prochaine, on a commencé dès le lendemain les mathématiques. On tient la comptabilité de Cathy pour s’entraîner. En plus, ça l’aide, la pauvre fille.

La famille zèbre

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J’ai la chance d’avoir des petits-enfants pas complètement cons. Philippine, ma préférée, est aussi délicieuse que vive (tout moi au même âge, quoi qu’en pense son père, mon gendre).

Du côté de mon fils, Benjamin, les trois rejetons sont aussi assez facétieux, pas montés à l’envers et complètement lobotomisés par la télévision. A l’école, ça marche plutôt bien aussi – faut bien dire que le niveau général baisse constamment, et que savoir lire en fin de CP relève maintenant pratiquement du miracle vu les méthodes utilisées.

Du coup, ma bru, Nathalie, s’est mise en tête qu’ils étaient sans doute surdoués. Il paraît que pour ne pas les brusquer, ces pauvres chéris, on ne dit plus surdoués mais  enfants précoces ou zèbres. On s’offusque moins quand il s’agit de leur faire passer et repasser des tests de QI (qui ne s’appellent plus comme ça non plus) au lieu de les laisser passer leur mercredi après-midi à construire des cabanes dans mon jardin.

Vous comprenez, me dit Nathalie l’autre jour, le dernier test ne montre rien chez Léo-Paul, mais il était peut-être stressé par son examen de viole de gambe au conservatoire l’après-midi? Il a très bien pu perdre ses moyens devant l’enjeu! Et puis, en se renseignant, Benjamin pense être également un zèbre que vous auriez négligé de déceler. 

La conne. Benjamin n’est ni un zèbre ni un âne, c’est mon fils, très intelligent certes, mais pas assez pour éviter d’épouser cette grue hystérique. Si c’est pas une preuve indéniable.

Bref, voilà Nathalie à la tête d’un élevage de pseudo-zèbres. Elle ne rate jamais une occasion de me rappeler qu’elle a un QI de 154, comme Sharon Stone (mais j’espère qu’elle a plus de culottes), et que les chiens ne faisant pas des chats (il faudra que je vérifie auprès d’Edmée, Simon est tellement formidable qu’il en serait bien capable), il serait normal et non pas exceptionnel que leurs trois enfants tiennent de leur mère et soient donc surdoués.

Bon sang qu’elle est fatigante. Ne peut-on pas laisser ces enfants cinq minutes salir leur marinière Petit-Bateau (l’uniforme du zèbre, forcément) comme tous les enfants sans tenter de leur rentrer tout Wikipédia dans le ciboulot avant leurs dix ans? Mais évidemment, une marinière tachée de mousse au chocolat, c’est moins photogénique sur les réseaux sociaux que des enfants -d’autres zèbres, tous, évidemment – déguisés à longueur de journées en Lord Fauntleroy.