Quand mon brave Philémon est décédé, il a laissé un grand vide. C’est pas trop qu’il me manquait, c’est surtout que j’en ai profité pour bazarder tous les meubles. Je m’apprêtais à faire livrer toutes ces horreurs à la déchetterie la plus proche, quand Philippine, ma petite-fille chérie (et préférée, je dois bien l’avouer), m’a appris que tout ce fatras valait une petite fortune chez les gogos de sa génération.
Tout ce formica, tous ces meubles en faux bois collés aux substances cancérigènes, ces coussins orange, ces plaids marron, toute cette vaisselle en arcopal à fleurs que je ne pouvais plus voir en peinture, mais que Philémon, un peu pince, refusait que je remplace par de la porcelaine suédoise de qualité (il ne me restait plus alors qu’à en briser régulièrement, mais tout de même, je ne serais jamais arrivée au bout de notre service de mariage sans éveiller ses soupçons), tout cela avait donc une valeur ?
Philippine, comme toujours, a eu une idée de génie. Par un bel après-midi ensoleillé, nous avons vidé entièrement la remise du jardin, et disposé tous mes meubles dedans. J’ai cousu quelques fanions dans les vieux pyjamas de Philémon pour décorer un peu cette boutique éphémère, et nous avons convié tous ses amis et ses followers à une extraordinaire (surtout pour les prix, hi hi hi) vente exclusive de mobilier et vaisselle vintage.
Tandis que tout ce beau monde bobo se pressait (et piétinait mes bulbes de jacinthes) Philippine me faisait de gros clins d’œil de derrière la boîte à biscuits bretons qui nous servait de caisse. Je n’en revenais pas de ce que ces idiots pouvaient payer pour de vieux rossignols que j’avais toujours trouvés moches et sans goût, mais que voulez-vous, à notre époque, H&M ne faisait pas de collection Home et Ikea attendait en les arrosant régulièrement de colle (pour gagner du temps) que ses pins poussent pour les débiter en meubles au nom imprononçable sans avoir quelques grammes d’Aquavit dans le sang.
Le clou de la collection fut sans conteste le mobilier de la chambre des enfants, une blogueuse parisienne spécialisée dans le recyclage de mobilier vintage pour enfants fit un croche-pattes ma foi fort habile à une congénère pour chiner les chaises d’écolier dépareillées que nous avions récupérées lors de la fermeture de l’école de Benjamin, mon aîné.
A la fin de la journée, la remise était vide (même les fanions en vieux bouts de pyjamas avaient trouvé acquéreur ! J’en pleure encore de rire. S’ils savaient que Philémon pétait au lit !) et nous nous offrîmes un petit remontant. Un doigt (le majeur, dans le sens de la longueur) de porto pour moi, un mojito pour Philippine. Quand nous eûmes fini de compter la recette de la journée, il y avait assez pour nous envoyer toutes les deux illico presto à l’Ile Maurice.